Droit du sport
QUE RESTE-T-IL DE LA VIE PRIVEE DES SPORTIFS PROFESSIONNELS ?
Ce n’est un secret pour personne, la vie de sportif de professionnel comprend bon nombre de sacrifices. Les joueurs doivent suivre des entrainements quotidiens, partent en déplacement très régulièrement, jouent à des horaires particuliers, notamment le dimanche, etc. Si la pratique professionnelle d’un sport restreint considérablement la vie privée des athlètes, est-ce que ces mesures peuvent être considérées comme proportionnées par rapport au but poursuivi ?
L’exemple le plus parlant est sans doute celui de l’article 278 de la Charte du football professionnel. Ce dernier prévoit que « en dehors des matches ou de l’entrainement, il est interdit à un joueur de pratiquer le football, de monter à cheval, de faire du ski, de prendre place dans un avion de tourisme et de pratiquer tous autres sports (telle la pêche sous-marine) sans l’autorisation du président du club après avis de l’entraineur ». Ainsi, alors même que le joueur n’est plus sous la subordination de son employeur, mais en vacances ou en congés, ce dernier n’est pas libre de réaliser les activités physiques ou sportives de son choix. Cette règle entre directement en conflit avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En effet, cette dernière consacre en son article 8 un droit au respect de sa vie privée pour toute personne. Lorsqu’un sportif professionnel, en l’occurrence un footballeur, souhaite monter à cheval ou aller au ski avec sa famille, cela relève de sa vie privée. En principe, son employeur ne peut lui interdire une telle pratique alors que ladite pratique est réalisée en dehors du temps de travail. Rappelons à cet égard qu’en dehors du temps et du lieu de travail, le salarié n’est plus soumis au pouvoir de direction de son employeur. Le lien de subordination qui découle du contrat de travail n’est pas continu.
Or, l’article 278 alinéa 2 de la Charte du football professionnel prévoit qu’en cas de manquement à cette règle, le club pourra saisir la commission juridique de la Ligue de football professionnel, avec toutes les conséquences qui en découlent. De plus, si cette règle est reprise au sein du contrat de travail du salarié ou du règlement intérieur de l’entreprise, le club pourra user de son pouvoir disciplinaire sur ce seul fondement. Pourtant, le principe est qu’un fait de la vie privée ne peut pas faire l’objet d’une sanction disciplinaire (Cass. soc., 23 juin 2009, n°07-45.256), sauf si les faits invoqués ont un lien suffisant avec l’activité professionnelle (Cass. soc., 8 octobre 2014, n°13-16.793).
L’idée de lien suffisant ressort également de l’article L1121-1 du Code du travail qui prévoit que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché. Le principe est donc que tout salarié a droit au respect de sa vie privée, sauf si l’atteinte est justifiée par la nature de l’emploi occupé et qu’elle est proportionnée au but à atteindre. Il a déjà été jugé qu’un sportif professionnel avait une obligation de soin lors de son arrêt de travail, alors même que le contrat de travail était suspendu au cours de cette période, tout comme le lien de subordination (Cass. soc., 20 février 2019, n°17-18.912). Cette solution est clairement rendue en application du principe de spécificité sportive. Le sportif a besoin de son corps pour exercer ses prestations de travail, mais ce n’est pas le seul métier concerné, pourtant c’est le seul où cette obligation de soin semble voir été reconnue.
Aucun joueur sanctionné par son club pour avoir pratiqué un sport dangereux n’a contesté cette décision devant le juge étatique, que ce soit sur le fondement de son contrat de travail, du règlement intérieur de l’entreprise ou même de la Charte du football professionnel. Il n’y a eu aucune interprétation de cette disposition en jurisprudence, notamment sur l’atteinte à la vie privée. La plupart des joueurs, à l’instar de Mbappe, se contentent de respecter cette obligation (ou de ne pas communiquer sur leurs pratiques). En revanche, juridiquement, cette interdiction peut soulever plusieurs contestations. La première est donc logiquement celle de savoir si cette interdiction, pure et simple, ne contrevient pas au droit à la vie privée du sportif.
Se pose également la question de savoir si l’interdiction de pratiquer des sports à risques en dehors de son temps de travail ne revient pas à maintenir continuellement les joueurs sous un lien de subordination juridique. En effet, si un joueur de football est sanctionné par son club et par la commission juridique de la LFP pour avoir monté à cheval pendant ses vacances en Camargue, est ce que l’employeur n’est pas tenu de lui rémunérer ce temps au titre d’heures supplémentaires ?
Que dire de :
- L’amende écopée par Iker CASILLAS pour avoir fait une balade en amoureux en scooter alors que cela est interdit par son contrat de travail.
- L’amende d’Asier ILLARRAMENDI pour avoir participé à une corrida, pratique considérée comme une activité dangereuse par le Real Madrid.
- L’amende de Vladimir RADMANOVIC pour s’être blessé en snowboard.
- Etc.
Cette interdiction est prévue par les clubs, par la Charte et, pour le moment, validée lors des homologations des contrats, afin de protéger les finances et la compétitivité des clubs. En effet, les clubs assurent leurs joueurs pour l’exercice de l’activité professionnelle et les blessures en découlant, mais cette assurance ne couvre généralement pas les blessures survenues au cours de la vie privée des joueurs. Les clubs essaient donc de limiter les risques de blessures au quotidien afin de garder des joueurs disponibles. Et il est indéniable que dans les pratiques interdites, tels que l’équitation et le ski, les accidents sont vites arrivés.
Toutefois, il est logique de se demander si l’interdiction totale, à tout moment, de pratique de tous sports, n’est pas disproportionnée au regard de l’immixtion qui est faite dans la vie privée des sportifs. D’autant que cela crée des inégalités entre les joueurs de sports collectifs, qui voient souvent une telle clause introduite dans leur contrat de travail, et les salariés de sports individuels qui sont plus libres. La rupture est encore plus grande avec les sportifs professionnels non-salariés qui conservent leur libre-arbitre. Ne faudrait-il pas plus sensibiliser et informer qu’interdire et réprimer ?
Victoria DREZE
24 juin 2021