Droit du sport

Les sanctions infligées en Formule 1 manquent-elles de prévisibilité ?

Au cours de la saison 2019 de Formule 1, Pierre Gasly a été disqualifié du grand prix de Bakou pour avoir 0,02 gramme de carburant en trop dans son réservoir. Si cette sanction peut paraître sévère, elle l’est encore plus si on la compare à d’autres. Quelques temps plus tard, au grand prix de Monaco, les deux pilotes Ferrari ont été repris pour excès de vitesse dans la voie des stands. Pour cette saison, la vitesse maximale dans la pit lane était de 60 km/h. Les pilotes roulaient à 62,8 et 62,6 km/h. Pour ces infractions, l’écurie a été condamnée à une amende de… 300 euros par pilote. Une somme bien modeste pour l’écurie au cheval cabré. La FIA estime donc que 0,02 gramme de carburant en trop justifie une disqualification, alors que ce comportement est sans risque, mais qu’un excès de vitesse dans un zone fréquentée par des piétons ne mérite qu’une faible amende.

A l’instar des autres fédérations sportives, la Fédération internationale automobile (FIA) dispose de plusieurs règlements au sein desquels diverses sanctions sont prévues. Les infractions réprimées en Formule 1 sont nombreuses et réparties au sein de différents documents. Il n’est pas évident de condenser l’ensemble de ces comportements réprimés et de rester dans les règles du sport.

Cette complexité disciplinaire s’explique principalement par le fait que la Formule 1 est un regroupement de plusieurs acteurs. Pour faire concourir une monoplace, il y a bien évidemment un pilote, mais également des équipes techniques, sportives, un constructeur automobile, etc. Ce sont tous ces acteurs du sport qui peuvent réaliser des comportements répréhensibles au sens des règlements de la FIA. Il faut donc combiner avec l’ensemble des règles applicables. En Formule 1, les textes les plus importants sont :

  • Le Code sportif international
  • Le règlement sportif
  • Le règlement technique
  • Le règlement financier Généralement, les sanctions prononcées le seront sur le fondement de l’un de ses quatre textes.

Le règlement sportif instaure un panel de 9 sanctions, applicables notamment aux pilotes. Ainsi, les pilotes peuvent recevoir une pénalité correspondant à : a) 5 secondes d’arrêt obligatoire lors du prochain arrêt au stand, même si ce dernier se déroule sous le régime de la Safety Car ;

b) 10 secondes d’arrêt obligatoire lors du prochain arrêt au stand, même si ce dernier ce déroule sous le régime de la Safety Car ;

c) « Pénalité au volant » : Le pilote doit passer par la voie des stands, en respectant la vitesse maximale de 80 km/h, sans s’y arrêter ;

d) « Stop and go » : Le pilote doit passer au stand, s’y arrêter 10 secondes, sans que ce passage ne soit un arrêt technique ;

e) Temps ajouté directement au chrono final du pilote ;

f) Réprimande ;

g) Perte d’un certain nombre de place sur la grille de la prochaine course ;

h) Disqualification ;

i) Suspension lors de la prochaine course.

Il convient de préciser que pour les sanctions qui sont à effectuer directement lors de la course (a à d), une modification des règlements en 2017 ne permet plus d’y échapper en cas d’abandon. Dans cette hypothèse, la sanction sera reportée à la prochaine course. Le règlement prévoit également l’hypothèse où la sanction serait communiquée trop tardivement pour pouvoir être honorée, c’est-à-dire dans les trois derniers tours de course ou après l’arrivée. Dans ce cas :

  • la sanction a) se transforme en 5 secondes d’ajoutées au chronomètre,
  • la sanction b) en 10 secondes,
  • la sanction c) en 20 secondes,
  • et la sanction d) en 30 secondes.

Selon les dispositions de ce règlement, les 7 premières sanctions ne sont pas susceptibles d’appel. Ainsi, si un pilote se voit infliger une telle sanction, il ne peut pas la contester devant la justice fédérale. Au vu des dispositions régissant le droit disciplinaire de la FIA, les pilotes de Formule 1 voient leur droit de défense réduit…

Autre texte prévoyant des sanctions, le Code sportif international. Selon l’article 12.4 du code, les pénalités infligées peuvent être de plusieurs natures : a) Avertissement ;

b) Blâme ;

c) Amende ;

d) Travaux d’intérêt généraux ;

e) Suppression des tours de qualifications ou d’essais d’un pilote ;

f) Recul de la position sur la grille de départ ;

g) Départ de la voie des stands ;

h) Temps supplémentaires ajouté au chronomètre ;

i) Tours supplémentaires ;

j) Recul dans le classement final de la course ;

k) Passage par la voie des stands ;

l) Stop and go ;

m) Disqualification ;

n) Suspension ;

o) Exclusion.

Le code précise que pour les trois dernières sanctions, l’intéressé doit pouvoir exercer son droit de défense et s’expliquer sur les faits. Il est une fois encore possible de s’interroger sur le fait que cette possibilité ne soit pas offerte pour les autres sanctions. Les articles suivants dudit code permettent le cumul de sanctions et limitent les amendes à 250 000 euros. Cette dernière doit être payée dans les 48 heures, ce qui peut étonner.

A première vue, les règlements de la FIA sont clairs sur les sanctions possibles. Mais en pratique, les sanctions infligées aux pilotes peuvent amener à se poser des questions. Pour la plupart des infractions, les commissaires ont le choix entre plusieurs sanctions. Leur choix doit être orienté en fonction de la gravité de l’infraction et des risques en découlant. Depuis 2020, les commissaires ont une plus grande liberté dans le choix des sanctions. Avant la réforme du règlement, les sanctions étaient assez précises en fonction des infractions. Cette liberté qui est désormais laissée aux commissaires permet de faire évoluer la sanction en fonction de la gravité des faits, mais a également pour effet de rendre moins prévisible les sanctions encourues pour tel ou tel agissement.

Autre sujet étonnant, la Super licence des pilotes. Cette super licence est le sésame indispensable au pilote pour courir en Formule 1. Pour l’obtenir, un pilote doit cumuler un certain nombre de points lors des quatre dernières années (prise en compte des trois meilleurs exercices). Lorsqu’un pilote atteint 12 points de pénalité sur sa licence, il est suspendu pour la prochaine course. A titre d’exemple, un pilote peut être sanctionné pour être revenu sur la piste de manière dangereuse. En septembre 2019, Kevin Magnussen a été réprimandé pour ce comportement et s’est vu créditer d’un point supplémentaire sur sa licence alors que trois semaines plus tôt, Lance Stroll était sanctionné par 2 points. Autre exemple, les collisions. Pour une collusion avec Max Verstappen en novembre 2018, Esteban Ocon a vu sa licence augmenter de 3 points quand Hartley n’en prenait que 2 un mois plus tôt lors d’un accrochage avec Ocon.

Ce manque de transparence dans le choix des sanctions infligées ne concerne pas que les pilotes. La saison 2020 a été l’occasion de démontrer l’incohérence des sanctions de la FIA. Au cours de cette saison, l’écurie Racing Point a été fautive en utilisant des pièces non conformes au regard des règlements. Concurrents directs de l’écurie, Ferrari, Mc Larren et Renauld ont déposé une réclamation visant à ce que Racing Point soit sanctionnée. Cette réclamation faisait suite à une victoire d’un pilote de l’écurie. Les commissaires ont fait droit à la demande des autres écuries mais la sanction peut paraître clémente. La victoire de Perez combinée au podium de Stroll ont rapporté 40 points à l’écurie et aux pilotes, mais la sanction n’a porté que sur le classement d’écurie et à la hauteur de seulement 15 points (7,5 par pilote). Certes cette sanction a été accompagnée d’une amende salée de 400.000 euros (200.000 par voiture), mais Racing Point s’en est bien sorti. **D’autant que le constructeur a pu conserver la pièce litigieuse pour le reste de la saison… **

Victoria DREZE

7 avril 2021

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